un cold case du crétacé au wyoming
Dans la seconde moitié du XIX° siècle, avec l’expansion galopante de la colonisation européenne vers l’ouest du continent nord-américain, les Grandes Plaines où évoluaient en harmonie bisons, pronghorns et tribus amérindiennes vont subir un profond traumatisme. Comme le Montana au nord, le Nebraska à l’est ou encore l’Utah au sud, le Wyoming, adossé au piémont des montagnes Rocheuses, est l’un de ces Etats où la « Prairie » a longtemps dominé le milieu naturel avant de se réduire considérablement sous l’effet de l’agriculture intensive. Evolution destructrice qui a succédé au massacre de quelque 50 millions de bisons et à la liquidation des peuples indigènes. Néanmoins, grâce à sa faible démographie, le Wyoming a su conserver en partie ce déroulé herbeux si original et notamment dans le comté de Niobrara où des paléontologues ont trouvé un cimetière de dinosaures de plus de 70 millions d’années.
Un vaste open space pour la faune
Souvent émaillée de sites rocheux plus ou moins élevés, les grandes formations herbeuses de l’Ouest américain comme celles du Wyoming s’étendent sur des millions d’ha et ont généré un écosystème spécifique étroitement dépendant des facéties climatiques. Chez les mammifères, cette particularité explique le tempérament migratoire des principales espèces d’ongulés sauvages, à l’image du bison des plaines, dont la population atteint désormais un demi-million d’individus sur l’ensemble des États-Unis, de l’antilope d’Amérique ou pronghorn et du cerf de Virginie. Autant de proies pour le puma et le coyote. Si le loup a été éradiqué de la Prairie au début du XX° siècle, sa réintroduction réussie dans le parc national du Yellowstone voici une trentaine d’années est un signe d’espoir pour son retour dans les plaines du Wyoming. Ce milieu abrite en nombre le chien de prairie à queue blanche et le blaireau américain qui le chasse. Le putois à pieds noirs est un miraculé puisqu’il restait moins d’une vingtaine de spécimens au milieu du siècle dernier. La menace s’est éloignée grâce à un programme de reproduction en captivité intensif suivi de relâchés. Aujourd’hui, ses effectifs atteignent les 1 000 individus dans la nature. Chez les oiseaux, le tétras des armoises dont la parade nuptiale est si spectaculaire a amorcé un déclin inquiétant dans cet Etat qui est l’un de ses fiefs avec le Montana voisin. Chez les reptiles enfin, le lézard de Sagebrush et son cousin, le lézard à petite corne, sont communs…

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Antilope d’Amérique aussi appelée pronghorn

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Tétras des armoises

Photo National Wildlife Federation
Puma

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Putois à pieds noirs

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Lézard à petites cornes

Photo National Park Services
Bison d’Amérique
une terre de fossiles
L’État du Wyoming est certes l’un des moins peuplés des États-Unis, mais c’est aussi celui qui est l’un des plus fréquentés par les paléontologues, car il recèle une pléthore de témoignages figés de la grande diversité d’espèces qui vivaient ici au Crétacé, cette longue période géologique réputée pour être l’âge d’or des dinosaures. Le comté de Niobrara et son chef-lieu, la petite ville de Lusk, est situé à l’est du Wyoming non loin de la frontière avec le Nebraska. Ici bat le cœur de l’Amérique profonde, celle des pionniers du Far West, celle de Buffalo Bill Cody, des Sioux et du général Custer, celle de Sundance et de Butch Cassidy.
Mais c’est ici aussi que dès la fin du XIX° siècle, des groupes de paléontologues intrépides vont multiplier les chantiers de fouilles après la découverte de fossiles géants de dinosaures. Ce sont eux qui vont d’ailleurs mettre au point la technique de consolidation des os avec du plâtre, une méthode qui permet de déplacer les fossiles du terrain jusqu’au laboratoire sans les briser.

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L’avenue principal de Lusk en 1920

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La station-service de Lusk aujourd’hui

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Fouilles paléontologique au Wyoming vers la fin du XIXème siècle.

Image American Museum Of Natural History
Les pionniers du Crétacé
La chirurgie du marteau et du burin
Le site de Lusk est d’autant plus remarquable qu’un incroyable ossuaire d’Edmontosaures y a été découvert. La difficulté n’est pas tant d’y trouver des os de dinosaures, le défi est de les extraire. Un bon paléontologue y met autant de technique et d’assurance qu’un médecin en mets dans un acte chirurgical. Pour prélever les os sans qu’ils s’effritent, on les englobe dans des cocons de plâtre qui jouent le rôle d’atèles.
On commence par creuser une tranchée qui délimite un bloc autour d’un os et on sape le plus possible la base du bloc pour sculpter une sorte de pied de champignon.
On applique ensuite des toiles de jute imbibées de plâtre après avoir pris soin de protéger la surface de l’os avec du papier d’aluminium.
Une fois le plâtre durci, on casse le pied qui rattachait le bloc au sol, on le retourne et on ferme complétement le cocon de plâtre.

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La densité d’os dans le gisement est exceptionnelle. Elle téoigne de la disparition d’un troupeau entier d’Edmontosaures.

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On creuse une tranchée autour des os pour pouvoir les englober dans une coque de plâtre.

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Un os est renforcé d’une croute de plâtre avant de le prélever.

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L’Edmontosaurus est un dinosaure herbivore qui appartient à la grande famille des « dinosaures à bec de canard », Il est pourvu d’un museau élargi doté de milliers de dents imbriquées les unes dans les autres, formant une râpe capable de broyer les végétaux.
scénario d’une catastrophe

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L’origine d’un tel amoncellement d’os au même endroit, appartenant à des adultes et de juvéniles d’une seule espèce, est exceptionnelle. Au Crétacé, une large plaine alluviale sillonnée par un chevelu hydrographique dense constituait le paysage du Wyoming. D’une façon analogue aux noyades de masse des gnous dans les rivières lors de leurs migration annuelles en Afrique, il est probable qu’une rivière à engloutit les tout un troupeau Edmontosaures.
quand la science rencontre l’art
La préparation des fossiles en atelier requiert une grande expérience technique. C’est aussi un exercice intellectuel puisque le résultat final doit être pensé en fonction de l’esthétique qui traduira au mieux l’histoire de la pièce.
Les dinosaures découverts à Lusk ont fait l’objet d’une exposition spéciale au Museum d’histoire naturelle de Francfort, ils sont aussi exposés en permanence au Wyoming Dinosaur Center.

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Ouverture du plâtre en atelier, préalable à la préparation de détail.

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Préparation des os à l’aide d’un micro-percuteur
Après quelques mois de préparation, le bloc est ajouré au maximum tout en conservant des ponts de pierre qui maintiennent chaque os dans sa position originelle. Cette sculpture naturelle garde la mémoire de la dramatique fin d’un troupeau d’Edmontosaures dans ce qu’était le Wyoming il y a 70 millions d’années.

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