le feu sacré de taïwan

Sur l’île de TaÏwan, si la plaine côtière peut être considérée comme une mégalopole de 300 km de long, un ensemble montagneux atteignant 4 000 m d’altitude recèle des lieux très difficiles d’accès qui offrent des trésors naturels inattendus. Sous le dense couvert de la jungle, des ‘feux éternels’ signalent de façon spectaculaire des fuites de gaz naturels.

Ces indices n’ont pas manqué de lancer des explorateurs à la recherche de gisements d’hydrocarbures. D’où provient ce gaz et comment s’est-il formé ? Notre enquête conduit ed découvertes en découvertes depuis les plus hauts sommets jusqu’aux profondeurs océaniques de l’île pour tenter de répondre à ces interrogations.

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une terre de contraste

L’arrivée dans Taipei la capitale illustre déjà les contrastes de cette île. Depuis l’aéroport, le viaduc du métro survole tout d’abord une jungle luxuriante avant d’atteindre les barres d’immeubles gris de la métropole de 7 millions d’habitant. L’audace architecturale d’une ville moderne se déploie ensuite sous une tour de 500 m qui fut un temps le plus haut gratte-ciel du monde. Comme souvent en Asie, des temples bouddhistes ornementés de dragons s’inscrivent dans ce paysage urbain.

Les montagnes sont extrêmement abruptes (40% du territoire est caractérisé par une pente de 40% ou plus), ce qui témoigne de la pleine croissance géologique de l’ïle. En raison de la difficulté d’accès des zones de reliefs montagneux, la forêt s’épanouit sans entraves, évoluant d’une végétation subtropicale à basse altitude à un profil botanique de type alpin au niveau des sommets.

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Pirolle de Taïwan. Cet oiseau endémique est l’emblème de l’île.

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L’impressionnante araignée géante des bois ne passe pas inaperçue. Sa toile de plusieurs mètres de diamètre est suffisamment résistante pour piéger des petits vertébrés.

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Près de 400 espèces de papillons sont répertoriées à Taiwan. Le machaon à queue large est une espèce endémique particulièrement présente dans la culture traditionnelle.

à LA SOURCE DES DRAGONS

Les « feux éternels » comptent parmi les merveilles naturelles de Taiwan. Ces sites sont alimentés par du méthane qui s’échappe des profondeurs et que le moindre éclair suffit à enflammer. Dans la Grotte de l’Eau et du Feu, une flamme brûle en continu au-dessus d’une source depuis au moins 300 ans. Selon la légende locale, elle résulterait du combat perpétuel et sans vainqueur que se livrent les dragons de l’eau et du feu. Les volcans de boue sont d’autres curiosités mythiques. En pleine jungle, des monticules d’une dizaine de mètres de hauteur ressemblent à de vrais volcans dont les cratères sont occupés par des flaques boueuses bouillonnantes de gaz.

Ces feux résultent de la géologie de l’île qui dispose des trois conditions nécessaires à la formation de gisements d’hydrocarbures (pétrole et gaz).
1. Des roches sédimentaires riches en matière organique déposées au fond de la mer avant la surrection de l’île.
2. Un enfouissement des sédiments sous des montagnes de 4 000 m, là où la chaleur du globe transforme lentement la matière organique en pétrole puis en gaz.
3. Des roches plissées, qui, si elles ont une géométrie favorable, peuvent guider les hydrocarbures qui circulent sous terre dans une zone où ils s’accumulent, formant ce que les pétroliers appellent un « piège » exploitable. Cette dernière condition est imparfaite sous les feux éternels de Taiwan, car le gaz s’échappe directement des profondeurs via des fractures.

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Grotte du Feu et de l’eau, protégée dans l’enceinte du temple de Biyun

Image Jean-Philippe Blouet

Volcans de boue de Wushanging

une oasis sous marine

Au large de la côte Taiwanaise, des bouillonnements marquent l’emplacement d’émanations sous-marines de gaz. Des expéditions océanographiques, notamment taiwano-allemandes, ont suivi les trains de bulles jusqu’à leurs sources. La vie y foisonne comme dans une oasis au milieu du désert. Le gaz nourrit des bactéries qui alimentent ensuite tout un écosystème avec des mollusques, des crustacés et des poissons.

Dans les carottes de sédiments prélevées autour, les sources sont riches d’une glace d’un type particulier puisqu’elle est inflammable ! Ce sont les fameux hydrates de gaz formés par la combinaison du méthane et de l’eau soumis aux grandes pressions et aux faibles températures des grands fonds. Ces hydrates pourraient-ils accumuler du méthane en quantité exploitable constituant ainsi le « piège » qui manque aux sources de méthane sur la terre ferme ? La technologie nécessaire à une éventuelle exploitation n’en est qu’à ses balbutiements.

 

Image Susan G. Merle

Les chercheurs localisent les sources de méthane sous-marines en détectant les trains de bulles sur images sonar.

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Dans un rayon de quelques dizaines de mètres autour d’une source de gaz (flèches), le fond marin est couvert de bivalves et autres organismes. Cet écosystème très local repose entièrement sur des micro-organismes qui exploitent l’énergie liée à l’oxydation du méthane par l’eau de mer.

Image US Department of Energy

Carotte d’hydrates de méthane prélevée au fond de la mer. Une fois remontés à la pression et à la température de surface, les hydrates fondent, libérant le gaz qui peut être enflammé.

Image NOAA Okeanos Explorer Program

Une source de vie

Les organismes qui se développent autour des sources de méthane sous-marines font partie des écosystèmes de plus en plus reconnus sur Terre qui ne reposent pas sur la photosynthèse, mais sur la chimiosynthèse. L’énergie dégagée lors de l’oxydation du méthane par l’eau de mer y forme la base de la chaine alimentaire. Certaines moules hébergent des bactéries mangeuses de méthane dans leurs branchies et tirent ensuite parti de ce garde-manger interne pour atteindre de grandes dimensions.
Quelle surprise alors de découvrir des moules géantes fossilisées en décoration dans une boutique ! Ces mollusques illustrent cette étonnante capacité du gaz à générer la vie dans les profondeurs de l’océan. Avant la surrection de l’île avant même que la tectonique ne déforme intensivement les couches sédimentaires, le méthane s’échappait déjà des fonds marins de Taiwan. Savoir où et quand le méthane s’est formé est un indice de plus pour localiser des gisements. Malgré ces efforts, la production d’hydrocarbure Taiwanaise reste anecdotique.

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Moules fossilisées de l’espèce Anodontia goliath, dont les représentants actuels sont inféodés aux sources de méthane.

Image Jean-Philippe Blouet

Un chercheur Taiwanais présente le rocher émaillé de moules fossilisése qu’il a découvert en pleine jungle, relique d’une ancienne source de méthane sous-marine.

Image Jean-Philippe Blouet

Cette moule fossilisée de grande taille trahit l’emplacement d’une source de æméthane à l’époque où la tectonique n’avait pas encore élevé l’île de Taiwan hors de l’eau.