Spitzberg : l’aventure à l’état brut

Perché à un peu plus de 1000 km du pôle nord géographique, l’archipel du Svalbard est l’une des dernières terres sauvages de la planète. Dans ce territoire où règne la toundra, une faune et une flore spécifique a su s’adapter aux longs mois soumis à la tyrannie du froid et aux rigueurs du court été de l’Arctique. L’ours polaire est le maître incontesté d’un lieu qui fut, à l’échelle des temps géologiques, couvert par une forêt tropicale au Dévonien puis parcourue par les dinosaures au Jurassique. Manuel à ciel ouvert de la chronologie du passé de la Terre, le Spitzberg est aussi un incroyable condensé de nature boréale encore intacte.

Images Jean-Philippe Blouet et Jean-Charles Schaegis

Les fantômes de Pyramiden

Au fond du Billefjord, voici Pyramiden, point de départ de l’aventure. L’ancienne cité minière appartient toujours à la Russie de Poutine en raison d’un vieux Traité de 1920 qui avait accordé les droits d’exploitation du gisement de charbon à l’URSS. Depuis 1998, dans la foulée de la chute de l’ex-empire soviétique, l’extraction d’une ressource jugée peu rentable a été abandonnée et la ville qui se voulait la vitrine du modèle social prolétarien promis par Moscou est tombée en léthargie sous le regard sévère de Lénine, dont le buste veille toujours sur le palais de la culture, le gymnase et sa piscine olympique, le jardin d’enfant, la chapelle, le musée et les immeubles autrefois fréquentés par plus de 1 500 mineurs et leurs familles.

 

Autour de Pyramiden, la nature s’exprime en toute liberté. L’ours et le renard polaire sont présents tout comme le renne du Svalbard côté mammifères et chez les oiseaux, plusieurs espèces nidifient à l’image du bécasseau violet, de la mouette tridactyle qui construit son nid sur le rebord de fenêtre des bâtiments, de la sterne arctique, du fulmar boréal, de l’eider à duvet, du labbe parasite ou à longue queue, du guillemot de Brünnich, du mergule nain ou du macareux moine pour n’en citer que quelques-unes.

 

Images Tomas Zrna

Images Nadir Kinossian

Bécasseau violet

Sterne arctique

Oie à bec court

Fulmar boréal

Images Jean-Philippe Blouet et Jean-Charles Schaegis

La plus ancienne forêt du monde

Elle date du Dévonien, voici 380 millions d’années. Les environs de Pyramiden abritent la plus ancienne forêt pétrifiée connue au monde. Constituée d’arbres lycopodes, cette végétation fossile s’est développée dans une plaine au pied d’une montagne aux flancs abrupts. Avant la dislocation de la Pangée, les terres émergées du Svalbard étaient alors situées dans la région de l’Equateur sous un climat chaud et humide.

Image Guillaume Onimus

La plus vielle forêt pétrifiée du monde (400 millions d’années), constituée de lycopodes arborescents

La forêt de lycopodes s’est développée dans une plaine en contrebas d’une montagne aux flancs abrupts.

Lors de fortes pluies, des graviers se sont écoulés de la montagne et ont submergé la base des troncs.

Après la mort des arbres, le tronc s’est décomposé, l’écorce subsistant un peu plus longtemps.

Lors de la crue suivante, l’intérieur des troncs creux s’est rempli de sédiments. On obtint des moules internes de la base des troncs.

Images Jean-Philippe Blouet et Jean-Charles Schaegis

la première patte hors de l’eau

Au Dévonien, aucun vertébré ne parcourait les forêts fossiles de Pyramiden car les poissons n’avaient pas encore évolué pour conquérir la terre ferme. Cependant, le plus grand prédateur des rivières de l’époque possédait déjà des nageoires charnues, prémices de pattes, qui en font l’ancêtre de tous les tétrapodes. Ces d’animaux vertébrés se sont adaptés à la locomotion terrestre et regroupent aujourd’hui les amphibiens, les reptiles, les oiseaux, les mammifères et donc l’homme…

 

Images Jean-Philippe Blouet

Paysage de Pyramiden il y a 400 millions d’années. Le plus gros prédateur, Powichtyis spitsbergensis, possède des nageoires charnues qui vont évoluer en pattes et permettre aux vertébrés de coloniser la terre ferme.

Image Jean-Philippe Blouet

Mâchoire de Powichtys, ancêtre de tous les tétrapodes.

Image Jean-Philippe Blouet

Fossiles de Dicksonosteus, un poisson placoderme disparu sans descendance. 

De l’ichthyosaure à la baleine bleue

L’Isfjord au fond duquel se trouve la ville fantôme de Pyramiden et tous les fjords de l’archipel accueillent régulièrement les grands mammifères marins de la famille des cétacés. Le belouga blanc est le plus commun avec une population qui gravite autour des 7000 individus. Si le petit rorqual, la baleine à bosse et le grand rorqual sont assez fréquents, la baleine franche et la baleine bleue se montrent beaucoup plus rarement.

Tous ces géants des mers reviennent de loin. Les premiers explorateurs, dont l’anglais Henry Hudson, ont rapporté l’abondance des cétacés qui « s’ébattaient comme carpes en vivier », ce qui a déclenché une chasse effrénée. Dès le milieu du XVIIème siècle la baleine franche avait disparu de l’archipel !

Le carnage perpétré par les flottes baleinières va durer jusqu’au milieu du XIX° siècle. Il finira alors par cesser au Svalbard, la « ressource » étant quasi épuisée.

Aujourd’hui, même si l’Islande et surtout la Norvège autorisent encore la chasse à la baleine, principalement le petit rorqual, les populations de cétacés ont retrouvé quelques couleurs dans l’Atlantique nord.
Les eaux du Spitzberg sont donc propices à l’observation de ces grands mammifères, mais les roches et les sédiments terrestres recèlent aussi des surprises et notamment les stigmates de monstres marins qui régnaient ici voici des millions d’années.

Des os énormes d’ichythyosaures ont ainsi été découverts récemment sur place. Ces reptiles marins apparus au Trias il y a 250 millions d’années étaient des super-prédateurs.
Ces fossiles trouvés sur l’archipel laissent à penser que la taille de ces tueurs des mers du Mésozoïque pouvait atteindre, voire dépasser, celle de la baleine bleue et la priver ainsi de son titre de plus grand animal ayant jamais existé depuis l’apparition de la vie sur Terre.

Le belouga

Un cétacé grégaire commun au Spitzberg.

Image istock

la baleine bleue

La baleine bleue et ses 130 tonnes est le plus gros animal actuel. Elle est aussi considérée comme le plus gros animal de tous les temps, mais les ichthyosaure pourraient l’avoir surpassée il y a 250 millions d’années.

Image Flickr

L’ichthyosaure

Côte fossilisée d’ichthyosaure, un reptile marin dont la taille de certains spécimens aurait pu dépasser celle de la baleine bleue il y a 250 millions d’années.

Image Jean-Philippe Blouet