le gaz bio des monts diablo

Les traces de gigantesques éruptions de méthane ont été identifiées dans les Coast range, ces chaînes côtières dont le relief longe la côte Californienne. Il s’agirait du premier exemple de production de gaz de schiste, d’origine tout à fait naturelle, quelque 60 millions d’années avant que l’homme n’apparaisse et n’adapte ce procédé dans l’industrie pétrolière. De quoi apporter un éclairage inattendu au débat sur la fracturation hydraulique, cette technologie qui a permis aux Etats-Unis de retrouver leur indépendance énergétique.

Image Jean-Philippe Blouet

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Une région à la rugueuse personnalité

L’environnement des monts Diablo est réputé pour la rudesse de son caractère. Une personnalité farouche qu’il doit à son climat ingrat principal, artisan de paysages austères comme en témoignent les noms très significatifs de nombreuses localités : Lost Hills, Diablo Range, Devils Den…
En dépit de ces conditions d’accès difficiles, Total a choisi ce secteur pour comprendre et déterminer, de 2013 à 2018, les relations potentielles entre des roches exceptionnellement fracturées et la présence d’hydrocarbures.

 

Image Jean-Philippe Blouet

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Roadrunner et rattlesnake

La chaîne côtière du sud de la Californie est caractérisée par un climat de type méditerranéen ponctué d’hivers frais et humides et d’étés chauds et secs, voire caniculaires. Cette alternance très nette explique la particularité du couvert végétal du piémont dominé par des vastes formations de chaparrals, une sorte de maquis composé de buissons et de plantes xérophiles, tandis que les secteurs situés plus en altitude accueillent des forêts mixtes d’essences caducifoliées et de résineux. La faune des chaparrals est très variée avec toutefois une tendance accrue pour les espèces des milieux secs.
Chez les oiseaux par exemple, le grand géocoucou ou roadrunner est fréquent, tout comme le geai buissonnier, la sturnelle de l’ouest, la buse à queue rousse et le faucon des prairies. Le roadrunner tout comme la buse est friand de reptiles tels que le lézard tigré ou son cousin des palissades. Le crotale des prairies et le crotale diamantin en font aussi leur proie. Plus en altitude, cette chaîne côtière du sud est connue pour abriter l’aigle royal et l’élan de Tule, une variété de cervidé qui était au bord de l’extinction au début du siècle dernier, mais dont la population s’est raffermie grâce à la protection de son habitat.
Depuis une quinzaine d’années, le condor de Californie a été réintroduit plus au sud sur la côte. Dans les années 1980, il ne subsistait plus que 22 individus. Un solide et coûteux programme de reproduction en captivité a permis de sauver ce grand rapace nécrophage de la disparition. Ses effectifs atteignent aujourd’hui le demi-millier d’individus dont un peu plus de la moitié évolue en liberté.

Image Don Graham

Condor de Californie

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Condor de Californie

Image Brooke Miller

Road runner

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Western Fence Lizard

Image Brooke Miller

Mountain Bluebird

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Tarentule de Californie

La terre promise californienne

Après la fièvre de l’or en 1849, c’est bien la découverte de gisements pétrolifères en 1876 qui ont permis à la Californie d’être le premier producteur de pétrole tout au long de la première moitié du XIX° siècle aux États-Unis. Aujourd’hui en 6° position, l’État ambitionne de supprimer ses émissions de CO en se passant des énergies fossiles à l’horizon 2045. Mais pour l’instant, il consomme quotidiennement 3 fois plus que sa propre production et les hydrocarbures restent un pilier de son économie.
Découvrir de nouveaux gisements après plus d’un siècle de prospection reste un défi pour les centaines de petites compagnies pétrolières de Californie. A la façon d’un chasseur qui sait observer les indices laissés par la présence de tel ou tel gibier, un géologue pétrolier ne peut réussir que s’il est sensible aux multiples indices de la nature pour remonter une piste vieille de plusieurs millions d’années (Voir ci-dessous).
A revers des courants de pensées créationnistes toujours très actifs dans leur pays, la sensibilité et l’intérêt des américains aux ressources du sous-sol est souvent bien plus développé que chez les européens. Ancrée dans la culture des pionniers, aiguisée par le droit de propriété et donc d’exploitation acquis après toute forme de découverte, cette quête de la ressource, qu’elle soit pétrolière ou autre, est toujours solidement gravée dans la mentalité américaine.

Eruption du puit de Lackview en 1910 (Kern county). D’après la légende, l’exploitant avait décidé de forer cet endroit contre l’avis de ses collègues car une touffe d’herbe rougie lui serait apparue comme l’indice d’un site favorable.

Le cas des volcans de sable

Pour un géologue, trouver une ammonite dans des roches du Tertiaire parait aussi improbable que d’apercevoir un plésiosaure dans le Loch Ness. Les ammonites, comme les dinosaures, ont disparu à la fin de l’ère secondaire, il y a 66 Millions d’années.
C’est pourtant bien des ammonites qui ont été découvertes dans des couches de sable des Coast Ranges datées de 60 millions d’années ! Une saine réaction est d’imaginer que quelqu’un a déchargé là un vieux tas de gravats. Mais lorsqu’en plus des ammonites, on trouve d’autres mollusques fossiles datant du Secondaire le long de strates étendues sur plusieurs km dans le désert, il faut bien remettre en question ses certitudes… Un « monde perdu » aurait-il perduré ici pendant plusieurs millions d’années à l’abri des bouleversements qui se sont succédés sut la planète ?
Les collines sont lardées de fractures remplies de sable sur près d’un km de hauteur, traversant au passage la limite Secondaire-Tertiaire. D’où l’idée que ce sable à ammonites serait remonté des profondeurs le long des fractures, un peu comme de la lave volcanique, jusqu’à atteindre les strates du Tertiaire. Car les volcans de sable existent, et notamment en Californie !
Ce sont généralement de simples curiosités géologiques qui s’activent typiquement lors de séismes. Comme les ondes sismiques peuvent liquéfier des couches de sable gorgée d’eau dans le sol, cette mixture sableuse peut alors remonter vers la surface, produisant des mini-volcans de sable qui dépassent rarement 50 cm de haut.
Est-il alors concevable qu’un phénomène analogue, mais à une échelle gigantesque, se soit produit voici 60 millions d’années ? La pression d’un fluide sableux enfoui à un kilomètre de profondeur pourrait-elle lui permettre de fracturer la roche, puis de remonter jusqu’à la surface ?

Image Jean-Philippe Blouet

Les collines argileuses des Coast Ranges sont parcourues de gigantesques fractures sableuses (flèches pointant les lignes claires en zigzag), reliques d’un phénomène de fracturation hydraulique naturel.

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Géologues assis sur ce qui ressemble à première vue à de banals strates sédimentaires. Dans le détail, ces bancs de sable ne sont pas horizontaux, ce sont en fait de gigantesques fractures ouvertes sous la pression d’un fluide de sable liquéfié.

La preuve par les bivalves fossiles

Rien de plus simple pour un ingénieur pétrolier que de fracturer une roche avec un fluide sous pression : il ne s’agit ni plus ni moins que de la fracturation hydraulique !
Cette technique industrielle consiste à forer un puits dans une roche pétrolière puis à y injecter un liquide sous très haute pression. Le fluide va alors fracturer la roche, libérant le pétrole et le gaz emprisonnés. La propagation d’une fracture incontrôlée est évidement le pire cauchemar d’un ingénieur car le gaz peut remonter via la fracture jusqu’à la surface et contaminer les nappes phréatiques ou les sources… Ce sont ces accidents qui valent sa mauvaise réputation à la technique de fracturation hydraulique.
Les chances que les fractures hydrauliques naturelles aient traversées par hasard un gisement de gaz des Coast Range semblent infimes, et pourtant…
Il est aujourd’hui facile de localiser les sources de gaz sous-marines car elles concentrent des colonies de bivalves qui forment ainsi des oasis de vie au fond de l’océan. Des micro-organismes prolifèrent en se servant du gaz comme source de nourriture et des bivalves très spécifiques se développent sur la base de cet écosystème (Voir expédition à Taiwan).

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’extrémité des fractures sableuses qui émaillent les Coast Range est parsemée de fossiles de lucinidés, l’une des rares familles de bivalves strictement inféodées à un mode de vie symbiotique avec les micro-organismes mangeurs de gaz.
Il y a 60 millions d’années, du sable en surpression a explosé via le phénomène de fracturation hydraulique à une échelle gigantesque. Certaines fractures se sont propagées sur 1 km de haut, atteignant le fond de la mer de l’époque en y répandant des épanchements de sables. Mieux encore, les fractures ont libéré du gaz emprisonné dans le sous-sol et l’ont drainé jusqu’à la surface. Une fois le cataclysme de l’éruption passé, le gisement de gaz s’est lentement vidé via les fractures, permettant à des écosystèmes très spécifiques de s’installer.
Même si ce gisement de gaz s’est vidé depuis longtemps et n’a plus aucun intérêt économique, il peut être vu comme le premier exemple de production de gaz de schiste par fracturation hydraulique environ 60 millions d’années avant que la technique ne soit mise au point par l’homme !

Image Jean-Philippe Blouet

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Ammonite découverte dans des roches du Tertiaire, époque à laquelle ces animaux avaient totalement disparu depuis longtemps. Ce fossile a fait éruption à la surface après être remonté des profondeurs sur 1 km de haut via des fractures et des cheminées de sable, de façon analogue à un épanchement de lave volcanique.

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Fracture remplie de sable. En se prolongeant à travers l’encaissant argileux sur une épaisseur d’1 km, elles ont permis l’effusion de sable et de gaz en surface.

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Bivalve de la famille des lucinidés, dont les représentants actuels (en haut à droite) sont inféodés aux sources de gaz sous-marines.

Coupe schématique du fond marin il y a 60 millions d’années dans ce qui allait devenir les Coast range. L’entrée en surpression de corps sableux enfouis à environ 1 km de profondeur a déclenché l’ouverture de gigantesques fractures dont certaines ont traversé un gisement de méthane. Les fractures qui ont atteint la surface ont explosé en formant des volcans de sable, et en exhumant des profondeurs des ammonites qui avaient déjà disparues depuis longtemps. Les fractures plus petites ont permis au méthane de s’échapper lentement vers la surface, donnant naissance à des sources sous-marines de gaz colonisées par des écosystèmes méthanotrophes, dont des bivalves lucinides.